Le
cerf-volant et la photographie aérienne (1904-1914)
Saconney
s’intéresse activement aux cerfs-volants en 1904
après avoir lu le livre de Joseph Lecomu «Les
cerfs-volants » paru en 1902. L’idée de
photographier à l’aide d’un cerf-volant
date d’une quinzaine d’années et est pratiquée
par quelques amateurs. Dinauchau, un militaire, entreprend
des essais quelques mois avant Saconney.
Comme on l’a vu, le ballon est un appareil
de luxe et Saconney considère que le cerf-volant est
beaucoup plus facile à mettre en œuvre. Le but
est alors de cartographier rapidement les zones inconnues.
La méthode traditionnelle de relevé (sans cerf-volant)
n’a pas considérablement évolué
depuis des siècles. Elle consiste à parcourir
à pied en tous sens le pays inconnu avec du matériel
topographique. Cependant, 40 ans plus tôt, le colonel
Laussedat (1819-1907), considéré comme le père
de la photogrammétrie, avait mis au point une méthode
de relevé topographique à l’aide de la
photo. Le procédé est beaucoup plus rapide.
Le Russe Thiele, dès 1902, fait des relevés
à l’aide d’un cerf-volant équipé
d’un appareil photographique.
Entre-temps Saconney tente des essais avec
un petit ballon cerf-volant non monté de 11 mètres
de longueur et de 3 mètres de diamètre et soulevant
l’appareil mais il abandonne et considère la
nouvelle technique avec cerf-volant comme un « procédé
merveilleux ». Elle est beaucoup plus économique
et pratique que le ballon cerf-volant. Saconney procède
alors aux essais de cerfs-volants pour choisir le meilleur
modèle. Il en essaie cinq :
– le Conyne d’origine américaine
– le Madiot d’un collègue militaire passé
lui aussi par Polytechnique et Fontainebleau
– le Lenoir d’un collègue militaire aérostier
(et copié sur le Potter américain)
– le Wenz monoplan classique muni d’une queue
– le Cody utilisé par l’armée anglaise.
C’est
ce dernier modèle qu’adopte Saconney et il l’utilisera
également ensuite pour les ascensions humaines. Ce
cerf-volant est tellement associé en France à
Saconney qu’on lui en donne très souvent le nom.
En fait, Saconney conserve globalement la forme de l’original
et lui-même le désigne sous le nom de Cody ou
de Mexicain à cause des origines texanes de l’inventeur.
La grande difficulté est de maintenir
l’appareil photographique immobile dans le ciel. C’est
facile par vent régulier mais, dès que le vent
augmente de vitesse, il devient turbulent et le cerf-volant
est alors instable et par suite l’appareil photo également.
Saconney préconise d’abord d’utiliser des
trains de cerfs-volants et pas un cerf-volant unique. Il espère
ainsi, les cerfs-volants étant à des altitudes
différentes sur le même câble, que l’effet
des turbulences sera amorti.
Autre possibilité : rendre l’appareil
photo solidaire d’un tore métallique mis en rotation
par une hélice. Saconney tente cette stabilisation
gyroscopique en 1904 puis l’abandonne.
Il essaie également la suspension elliptique
semblable à celle de Picavet mais finalement il adopte
la suspension Saconney dans laquelle l’appareil est
suspendu à un cardan dont l’un des deux axes
est le câble du cerf-volant. Une variante de ce dispositif
est constituée d’une espèce de girouette
à axe horizontal qui contrebalance la pression du vent
sur l’appareil.
Le
petit jeu de la stabilisation de l’appareil a commencé
en 1888 et la partie n’est pas encore terminée
en 2003.
Le déclenchement de l’appareil
se fait électriquement par un fil électrique.
Un dispositif permet (théoriquement) de déclencher
lorsque l’appareil est horizontal. Il est constitué
d’une coupelle contenant une goutte de mercure qui ne
laisse passer le courant que lorsque la goutte est au fond
de la coupelle.
Le changement des plaques de verre se fait à chaque
photo en redescendant l’appareil mais pas le train de
cerfs-volants qui le maintient dans le ciel. Pour cela, la
suspension est montée comme un téléphérique
roulant sur le câble et c’est un unique cerf-volant
tracteur qui permet de monter l’appareil. La descente
est obtenue en tirant par une cordelette l’ensemble
cerf-volant tracteur, suspension et appareil.
Outre la mise en œuvre technique décrite ci-dessus,
Saconney élabore les moyens mathématiques pour
transformer en cartes classiques les photos aériennes
obtenues.
Ces techniques doivent évidemment beaucoup
à Laussedat dont Saconney se reconnalt l’élève.
Les calculs sont assez simples lorsque l’appareil photo
est à une altitude connue et photographie avec un axe
optique horizontal un pays plat comportant au moins trois
repères. C’est le cas typique d’un tracé
côtier qui est évidemment toujours horizontal.
Ce cas est particulièrement intéressant à
l’époque lors des expéditions coloniales.
Un bateau longeant la côte peut rapidement en dessiner
la carte.
En
1904, Saconney entreprend des essais au large de Rochefort
à bord du « Jaureguiberry ». L’année
suivante, il navigue six semaines en Méditerranée
à bord du « Saint Louis » pour améliorer
les réglages du cerf-volant et la technique photographique.
Lors de ce voyage, il élève une antenne de T.S.F.
pour augmenter la portée des liaisons radio.
Les années 1907 et 1908 sont particulièrement
occupées. Saconney passe deux mois en mer pendant l’hiver,
puis quatre mois de mai à août au large du Maroc.
Lors des essais d’hiver, le Mistral détruit les
cerfs-volants, tout doit être renforcé. Finalement
Saconney dit obtenir des cerfs-volants « qui résistent
aux pires tempêtes ». L’un de ses cerfs-volants
élève une antenne pendant 72 heures de suite.
À l’automne 1908 la technique
est au point.
Pendant l’été 1909, Saconney
est envoyé dans la Vanoise faire (du sol) des relevés
topographiques. Ensuite paraît son ouvrage « Métrophotographie
». En 280 pages, l’auteur traite des aspects techniques
et mathématiques de l’utilisation de la photographie
terrestre ou aérienne pour le tracé des cartes.
Tous ces travaux apportent à Saconney une vaste renommée.
Il reçoit tout au long de ces cinq années des
lettres de félicitation du Ministre de la Guerre, des
lettres d’éloge du Ministre de la Marine, il
donne des conférences et reçoit des prix de
l’Académie des Sciences et de l’Aéroclub
de France.
Quelques années plus tard, en novembre
1912, Saconney est nommé chef de laboratoire d’aérologie
et de téléphotographie de Chalais-Meudon. Il
conserve cette fonction jusqu’en 1914. L’association
de ces deux disciplines est vraisemblablement due à
la nécessité qu’elles ont d’opérer
dans le ciel et d’être particulièrement
nécessaire au Génie militaire.
Le travail sur la photogrammétrie de
Saconney a été décisif pour la mise en
œuvre rapide de la photographie aérienne en 1914.
II est également un précurseur d’une science
devenue avec l’avion et le satellite, successeurs des
cerfs-volants, l’un des grands moyens de connaissance
de la terre.
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